Page:Zola - Travail.djvu/48

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voracité, d’une maladresse grelottante d’animal battu, qui ne sait même plus avaler, et qui se presse. Doucement, le cœur meurtri, éperdu, Luc lui arrêtait les mains, continuait à lui passer les petits morceaux qu’il rompait, un à un. Jamais plus il ne devait oublier cette communion de souffrance et de bonté, ce pain de vie donné à la plus misérable et à la plus délicieuse des créatures.

Nanet, cependant, se taillait sa part, mangeait en petit goulu, fier de son exploit. Les larmes de sa grande l’étonnaient, pourquoi donc pleurait-elle encore, puisqu’on faisait la noce ? Puis, quand il eut mangé, étourdi d’un tel repas, il se blottit contre elle, il fut comme assommé par un brusque sommeil, l’heureux sommeil des tout-petits riant aux anges. Et Josine, de son bras droit, le serrait contre elle, remise un peu, adossée au banc, tandis que Luc restait assis à son côté, ne pouvant se résoudre à la laisser seule dans la nuit, avec cet enfant ensommeillé. Il avait fini par comprendre que, si elle s’était montrée maladroite, cela venait aussi de sa main blessée, autour de laquelle elle avait renoué tant bien que mal le linge taché de sang. Et il causa.

« Vous vous êtes donc fait du mal ?

— Oui, monsieur, une machine à piquer les bottines qui m’a cassé un doigt. Il a fallu le couper. Mais c’était de ma faute, à ce qu’a dit le contremaître, et M. Gourier m’a fait donner cinquante francs. »

Elle parlait d’une voix un peu basse, très douce, qu’une sorte de honte faisait trembler par moments.

« Alors, vous travailliez à la cordonnerie de M. Gourier, le maire.

— Oui, monsieur, j’y suis entrée à quinze ans, et j’en ai aujourd’hui dix-huit… Ma mère y a travaillé pendant plus de vingt ans, mais elle est morte. Je suis toute seule, je n’ai plus que mon petit frère Nanet, qui a six ans. Moi, je me nomme Josine. »