Page:Zola - Travail.djvu/494

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la joie de tous, c’était le travail délivré, remis en honneur, devenu la gaieté, la santé  ; c’était la misère vaincue, la fortune publique rendue peu à peu à la communauté, au nom du droit sacré que chacun à de vivre et d’être heureux  ; et c’était aussi l’espoir d’un avenir de paix et d’équité plus hautes, absolues, où se réaliserait le rêve fraternel d’une société solidaire et libre. L’amour accomplirait ce miracle, et l’on reconduisit Nanet et Nise, à leur maison nuptiale, en acclamant l’amour qui les avait unis, l’amour qui allait faire naître d’eux d’autres amours sans fin.

Vers ce temps, l’amour révolutionna également la bourgeoisie de Beauclair, et ce fut chez les paisibles Mazelle, les rentiers, les bons paresseux que souffla la tempête. Leur fille Louise les avait toujours surpris et bousculés, tellement elle différait d’eux, très active, très entreprenante, s’occupant sans cesse dans la maison, en disant que la paresse la tuerait. Le ménage, qui mettait sa parfaite félicité à ne rien faire, très raisonnable d’ailleurs, heureux de la grande aisance gagnée autrefois, ayant la sagesse d’en jouir sans courir aucun risque d’ambition, n’arrivait pas à comprendre comment Louise pouvait gâter ses journées par une agitation inutile. Elle était fille unique, elle aurait une très belle fortune, placée en rentes solides sur l’État, et n’était-elle pas des lors déraisonnable, en ne s’enfermant pas dans son coin de paix, à l’abri des ennuis de l’existence  ? Eux se contentaient si bien de leur bonheur égoïste, sans fenêtre sur le malheur des autres, très honnêtes, très affectueux, très pitoyables pour eux sinon pour autrui, s’adorant se soignant, se dorlotant en tendres et fidèles époux  ! Pourquoi leur fillette s’inquiétait-elle du mendiant qui passait, des idées qui changeaient le monde, des événements qui troublaient la rue  ? Elle était toujours frémissante, vivante, tout la passionnait, elle donnait un