Page:Zola - Travail.djvu/495

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peu de son existence à tous. Aussi, dans l’adoration profonde qu’ils avaient pour elle, entrait-il beaucoup de la stupeur d’avoir fait une fille où ils ne retrouvaient rien d’eux-mêmes. Et voilà qu’elle achevait de les bouleverser par un coup de passion, dont ils avaient d’abord haussé les épaules croyant à une amourette, mais qui s’était aggravé, au point de leur faire croire que la fin des temps était proche  !

Louise Mazelle, qui était restée la grande amie de Nise Delaveau, continuait à la voir fréquemment chez les Boisgelin, depuis que ceux-ci se trouvaient installés à la Crêcherie. Et là, elle avait rencontré de nouveau Lucien Bonnaire, son camarade d’autrefois, au temps où elle s’échappait si ardemment, pour jouer avec les gamins des rues. Eux deux aussi étaient de la partie, le fameux où le petit bateau de Lucien avait marché tout seul sur l’eau de la mare  ; et ils en étaient encore, lorsqu’on se rejoignait en cachette, en sautant par-dessus les murs. Mais, à présent, Lucien avait grandi, c’était un beau et fort garçon de vingt-trois ans, tandis qu’elle-même en avait vingt. S’il ne faisait plus des petits bateaux qui marchaient sur l’eau, il était devenu, sous la conduite de Luc, ouvrier mécanicien très intelligent, très inventif, destiné à rendre de grands services à la Crêcherie, où il s’occupait déjà du montage des machines. Ce n’était point un monsieur, il apportait une sorte de fierté brave à rester un simple ouvrier, ainsi que son père, qu’il vénérait. Et, sans doute, dans la passion dont Louise s’était mise à brûler pour lui, entrait un peu de la naturelle révolte qui la poussait à choquer les idées bourgeoises, à ne pas agir comme les gens du monde dont elle faisait partie. La camaraderie ancienne était vite devenue chez elle un amour passionné, s’irritant des obstacles. Lui, le cœur touché de la tendresse vive de cette jolie fille, si alerte, si souriante, avait fini par se laisser