Page:Zola - Travail.djvu/514

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mourir l’ancien négoce, rouage inutile, mangeur d’énergie et de richesse.

D’abord, ils avaient dû accepter que leur boutique de la rue de Brias devînt un simple dépôt des produits  ; de la Crêcherie et des autres usines syndiquées. Ensuite, faisant un nouveau pas, ils avaient consenti à fermer cette boutique, qui s’était comme fondue dans les magasins généraux, où l’indulgence de Luc leur avait assuré une sorte de retraite, un emploi de surveillance. D’ailleurs, l’âge était venu, ils vivaient maintenant dans la retraite, amers, effarés de ce monde qui n’avait plus leur passion du lucre, emportés par les générations nouvelles, grandies pour d’autres activités et d’autres joies. Et c’était ainsi que leurs deux enfants, Auguste et Eulalie, obéissant à l’amour, le grand ouvrier d’harmonie et de paix, se mariaient à leur gré, sans trouver d’autre obstacle chez leurs parents que la sourde désapprobation des vieilles gens qui pleurent le passé. Les deux mariages devaient avoir lieu le même jour, aux Combettes, devenues un gros bourg, le faubourg même de Beauclair, avec de gais et vastes bâtiments, où se sentait la richesse inépuisable de la terre. Et la double cérémonie se célébra au moment de la moisson, le dernier jour, lorsque, de toutes parts, les meules énormes se dressèrent, dans l’immense plaine blonde.

Déjà Feuillat, l’ancien fermier de la Guerdache, avait marié son fils Léon à Eugénie, la fille d’Yvonnot, l’adjoint, qu’il avait réconcilié autrefois avec Lenfant, le maire, réconciliation initiale d’où était née la bonne entente de tous les habitants de la commune, ce large mouvement d’association qui avait fait du pauvre village haineux un bourg fraternel si florissant. Aujourd’hui, Feuillat, très âgé, était comme le patriarche de cette société agricole commençante, car il l’avait rêvée, voulue secrètement, autrefois, lorsqu’il combattait le système meurtrier du fermage, avec la sourde prescience de l’incalculable fortune