Page:Zola - Travail.djvu/52

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réellement Ragu n’avait pas sa clé sur lui, il devait l’avoir remise à la Toupe, qui était une terrible femme, dure aux pauvres filles. Puis, comme il parlait d’aller tranquillement demander la clé à cette mégère, elle frissonna.

« Oh ! non, pas à elle. Elle m’exècre… Si encore on était sûr de tomber sur son mari, qui est un brave homme. Mais je sais qu’il travaille cette nuit à l’Abîme… C’est un maître puddleur qui s’appelle Bonnaire.

— Bonnaire, répéta Luc, frappé d’un souvenir, mais je l’ai vu au dernier printemps, lors de ma visite à l’Abîme. J’ai même cause longuement avec lui, il m’a expliqué le travail. C’est un garçon intelligent, et qui, en effet, m’a paru être un brave homme… C’est bien simple, je vais aller tout de suite arranger votre affaire avec lui. »

Josine eut un cri d’ardente gratitude. Elle tremblait toute, ses pauvres mains se joignirent, dans un élan de son cœur.

« Oh ! monsieur, que vous êtes bon, que je vous remercie ! »

Un rougeoiement sombre venait de l’Abîme, et Luc la vit cette fois, la tête nue, le lainage en loques tombé sur les épaules. Elle ne pleurait plus, ses yeux bleus luisaient de tendresse, sa bouche pente retrouvait son jeune rire. Mais surtout, mince, très souple ires gracieuse, elle avait gardé une expression d’enfance, joueuse encore, simple et gaie. Ses longs cheveux blonds, d’un blond d’avoine mûre, presque dénoués sur sa nuque, en faisaient une fillette, restée candide dans son abandon. Et lui, pénétré d’un charme infini, pris peu à peu tout entier, était dans un étonnement ému devant la délicieuse femme qui se dégageait de cette sorte de pauvresse qu’il avait rencontrée, mal vêtue, épeurée, en pleurs. Puis, elle le regardait avec une telle adoration, elle se donnait à lui si ingénument, de toute son âme de pauvre être