Page:Zola - Travail.djvu/54

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Bonnaire le maître puddleur, un des meilleurs ouvriers de l’usine, avait joué un grand rôle dans la dernière grève. Lisant les journaux de Paris, esprit juste que les iniquités du salariat révoltaient, il y puisait toute une instruction révolutionnaire, dans laquelle il y avait bien des lacunes, mais qui avait fait de lui un partisan assez net de la doctrine collectiviste. D’ailleurs, comme il le disait fort sagement, avec son bel équilibre d’homme laborieux et sain, c’était là le rêve qu’on s’efforcerait d’atteindre un jour ; et, en attendant, il s’agissait d’obtenir le plus de justice tout de suite réalisable, pour que les camarades souffrissent le moins possible.

La grève, depuis quelque temps, était devenue inévitable. Trois ans plus tôt, l’Abîme ayant périclité aux mains de Michel Qurignon, le fils de M. Jérôme, son gendre Boisgelin, un oisif, un beau monsieur de Paris, qui avait épousé sa fille Suzanne, s’était avisé de racheter l’usine, d’y mettre les débris de sa fortune, fort compromise, sur les conseils d’un cousin pauvre à lui, Delaveau, lequel avait pris l’engagement formel de faire rendre le trente pour cent au capital engagé. Et, depuis trois ans, Delaveau, ingénieur adroit, travailleur acharné, tenait sa promesse, par une organisation, par une direction énergiques, veillant aux moindres détails, exigeant de tous une discipline absolue. Une des causes des mauvaises