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Page:Zola - Travail.djvu/55

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affaires de Michel Qurignon était tout un désastre qui s’était produit sur le marché métallurgique de la contrée, depuis que la fabrication des rails et des grandes charpentes de fer avait cessé d’y être rémunératrice, à la suite de la découverte d’un procédé chimique qui, dans le Nord et dans l’Est, permettait d’utiliser à vil prix de vastes gisements de minerais, jusque-là trop défectueux. Les Aciéries de Beauclair ne pouvaient plus lutter de bon marché, c’était la ruine certaine, et le coup de génie de Delaveau fut alors de comprendre qu’il devait changer la fabrication, abandonner les rails et les charpentes, que le Nord et l’Est donnaient à vingt centimes le kilo, s’en tenir aux objets fins et soignés, aux obus et aux canons, par exemple, qu’on vend de deux à trois francs. La prospérité était revenue, l’argent mis par Boisgelin dans l’affaire lui rapportait des rentes considérables. Seulement, il avait fallu un outillage nouveau, des ouvriers plus soigneux, plus attentifs à leur besogne, et par conséquent mieux payés.

En principe, la grève n’avait pas eu d’autre cause que ce relèvement des salaires. Les ouvriers étaient payés aux cent kilogrammes, et Delaveau admettait lui-même la nécessité de nouveaux tarifs. Mais il voulait rester le maître absolu de la situation, ne pas surtout paraître obéir aux ordres de ses ouvriers. Intelligence spécialisée, très autoritaire, très entêté sur ses droits tout en s’efforçant d’être loyal et juste, il traitait particulièrement le collectivisme de rêve destructeur, il déclarait que de telles utopies mèneraient droit à d’effroyables catastrophes. Et la querelle, entre lui et le petit monde de travailleurs sur lequel il régnait, s’était aggravée, le jour où Bonnaire avait réussi à mettre à peu près debout un syndicat de défense ; car, si Delaveau admettait les caisses de secours et de retraites, même les coopératives de consommation en reconnaissant qu’il n’était pas défendu à l’ouvrier d’améliorer