Page:Zola - Travail.djvu/57

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lui, la querelle était entre ses ouvriers et lui, et il entendait la régler avec ses ouvriers seuls. Bonnaire retourna donc le voir, accompagné uniquement de trois camarades. Mais ils n’en tirèrent que des raisonnements, des calculs, aboutissant à ce fait qu’il compromettrait la prospérité de l’Abîme, s’il augmentait les salaires. On lui avait confié des fonds, on lui avait donné une usine à diriger, et son strict devoir était que l’usine restât prospère, que les fonds rendissent les intérêts promis. Certes, il voulait bien être humain, mais il se croyait un parfait honnête homme, en tenant ses engagements, en tirant de l’entreprise qu’il dirigeait le plus de richesse possible. Le reste n’était que rêve, espoir fou, avenir utopique et dangereux. Et c’était ainsi, en s’entêtant de part et d’autre, après plusieurs entrevues semblables, que la grève avait duré deux mois, désastreuse pour le salariat comme pour le capital, aggravant la misère des travailleurs, tandis que l’outillage chômait et s’endommageait. Puis, on avait fini par se faire quelques concessions mutuelles, on s’était entendu sur les nouveaux tarifs. Mais, une semaine encore, Delaveau avait refusé de reprendre certains ouvriers, ceux qu’il appelait les meneurs, et parmi lesquels se trouvait Bonnaire. Il gardait rancune à ce dernier, bien qu’il le reconnût comme un de ses ouvriers les plus adroits et les plus sobres. Enfin, quand il céda, quand il le reprit avec les autres, il déclara qu’on lui forçait la main, qu’on l’obligeait à faire un acte contre son cœur, uniquement pour avoir la paix.

Ce jour-là, Bonnaire se sentit condamné. D’abord, il ne voulu pas d’un oubli ainsi offert, il refusa de rentrer avec les camarades. Mais ceux-ci, dont il était très aimé, ayant déclaré qu’ils ne rentreraient pas non plus, s’il ne venait pas reprendre le travail en même temps qu’eux, il avait paru se résigner, très noblement, pour ne pas être la cause d’une nouvelle rupture. Les camarades avaient