Page:Zola - Travail.djvu/58

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assez souffert, sa résolution était prise, il entendait être le seul sacrifié, sans que nul autre portât la peine de la demi-victoire remportée. Et c’était pourquoi il avait fini par rentrer le jeudi, en se promettant de s’en aller le dimanche, dans la conviction que sa présence à l’Abîme n’était plus possible. Il ne s’était confié à personne, il avait tout bonnement prévenu l’administration, le samedi matin, qu’il s’en irait le soir ; et, s’il se trouvait encore à l’Abîme, cette nuit-là, c’était qu’il y avait un travail commencé à terminer. Il voulait disparaître discrètement, honnêtement.

Luc, après s’être nommé au concierge, demanda s’il pouvait parler tout de suite au maître puddleur Bonnaire, et le concierge se contenta de lui indiquer d’un geste la halle des fours à puddler et des laminoirs, au fond de la deuxième cour, à gauche. Ces cours, trempées par les dernières pluies, étaient de véritables cloaques, avec leurs pavés défoncés, leur enchevêtrement de rails parmi lesquels passait une voie de raccordement, de l’usine à la station de Beauclair. Sous les clartés lunaires des quelques lampes électriques, au travers des ombres que jetaient les hangars, la tour à tremper les canons, les fours à cémenter, indistincts, pareils aux constructions coniques de quelque culte barbare, une petite locomotive évoluait doucement, lançait des coups de sifflet aigres pour n’écraser personne. Mais, dès le seuil, c’étaient surtout les martinets qui assourdissaient les visiteurs, les deux martinets installés dans une sorte de cave, dont on voyait les grosses têtes des têtes de bête vorace, battre le fer d’un rythme furieux, le mordre, l’étirer en barre, sous l’acharnement de leurs dents de métal. Les ouvriers qui étaient là, les étireurs, vivaient calmes, silencieux, ne parlant que par gestes, dans ce vacarme et dans ce tremblement continuels. Et Luc après avoir longé un bâtiment bas, où d’autres martinets faisaient rage, prit à gauche, traversa la