Page:Zola - Travail.djvu/572

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paradis, lorsqu’un léger cri de terreur, parti d’un bouquet de feuillages voisin, l’arrêta brusquement. Et il vit sortir des feuillages un couple d’amoureux effrayé, dans lequel il crut bien reconnaître son fils Jules et la blonde Claudine Bonnaire.

«  Quoi donc  ? Qu’avez-vous  ?   » leur cria-t-il.

Ils ne répondirent pas, ils fuyaient légèrement, comme sous un vent de terreur, en oiseaux d’amour dont quelque rencontre affreuse avait troublé les caresses. Puis, quand il se fut décide, pour voir, à pénétrer dans le taillis, par l’étroit sentier qui le traversait, lui-même laissa échapper un cri d’épouvante. Il venait de presque se heurter contre un corps, pendu à une branche, barrant le sentier de sa masse noire. Sous la clarté mourante du ciel, où naissaient les étoiles, il avait reconnu Boisgelin.

«  Ah  ! le malheureux, le vieil enfant  !   » murmura-t-il comme Suzanne, bouleversé, désespéré de ce drame atroce, dont elle aurait le gros chagrin.

Vivement, aidé des deux hommes, il décrocha le pendu, il l’allongea sur le sol. Mais le corps était déjà froid, le suicide devait remonter aux premières heures de l’après-midi, tout de suite après la course éperdue du malheureux, au travers de l’usine en travail. Et il crut comprendre, quand il remarqua, au pied de l’arbre, un grand trou que Boisgelin avait dû s’acharner d’abord à creuser avec les mains, avec les ongles, pour y cacher, y enterrer la prodigieuse fortune que lui gagnait son peuple de travailleurs, toute la ville en besogne, et qu’il ne pouvait plus administrer ni même loger quelque part. Ensuite, sans doute, désespérant de faire le trou assez vaste, craignant de ne pouvoir y loger l’amas colossal de son trésor, il avait résolu de mourir là, sous ce monstrueux embarras d’un capital dont la masse démesurée, sans cesse accrue, l’écrasait. Sa journée entière de course