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Page:Zola - Travail.djvu/591

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cuit par des machines soigneuses, pour un peuple heureux. Et le vieil hôte prodiguait à son misérable convive des attentions délicates, une sorte d’hospitalité tendre, héroïque et simple, qui semblait mettre dans l’air calme une douceur, une bonté infinies.

Ils causèrent de nouveau en mangeant. Comme la veille, Bonnaire ne crut pas devoir poser des questions directes, par prudence. Pourtant, il sentait bien que Ragu, à l’exemple de tous ses criminels, revenait aux lieux mêmes où il avait commis son crime, dévoré de l’invincible besoin de voir, de savoir. Josine vivait-elle encore  ? Que faisait-elle  ? Et Luc, sauvé de la mort, l’avait-il prise avec lui  ? Enfin qu’étaient devenus l’un et l’autre  ? Toutes ces curiosités ardentes luisaient sûrement dans la flamme dont brûlaient les yeux du vieux vagabond. Mais, comme il n’ouvrait pas les lèvres de ces choses, gardant son secret, Bonnaire dut se contenter de mettre à exécution le plan arrêté par lui la veille, l’exaltation de la Cité nouvelle, la glorification de sa prospérité et de sa puissance. Et, tout en ne nommant même pas Luc, il se mit à expliquer la grandeur de son œuvre.

«  Pour que tu comprennes, mon brave, il est nécessaire que je te dise un peu où nous en sommes, avant d’aller nous promener dans Beauclair. Aujourd’hui, c’est le triomphe, c’est la floraison complète du mouvement qui commençait à peine, au moment de ton départ.  »

Et il reprit l’évolution au début, l’usine de la Crêcherie fondée sur l’association du capital, du travail et de l’intelligence, mise en actions, avec partage des bénéfices. Il la montra en lutte avec l’autre usine, l’Abîme, la forme barbare du salariat finissant par la vaincre, la remplaçant, conquérant peu à peu le vieux Beauclair misérable, du flot victorieux de ses petites maisons blanches, si gaies, si heureuses. Puis, il conta comment, par imitation, par nécessité, les autres usines du voisinage étaient