Page:Zola - Travail.djvu/603

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sur lequel maintenant passe la contre-allée de cette avenue.  »

Il continua, il évoqua l’étroite, la noire rue de Brias, avec son pavé toujours boueux, avec son continuel piétinement de troupeau. Le travail blême et rageur y traînait sa fatigue, la faim et la prostitution y rôdaient le soir, les ménagères pauvres y allaient de boutique en boutique, soucieuses, en quête de petits crédits. C’était là que les Laboque régnaient, prélevant leur dîme sur les acheteurs, que Caffiaux empoisonnait les ouvriers de son alcool frelaté, que le boucher Dacheux surveillait sa viande, la viande sacrée, la nourriture des riches  ; tandis que la belle boulangère, la bonne Mme Mitaine, était la seule à bien vouloir fermer les yeux, quand un pain ou deux disparaissaient de son étalage, les jours où les petits de la rue avaient trop faim. Et, maintenant, le pavé s’était nettoyé de tant de misère et de tant de souffrance, un souffle libérateur avait comme emporté les boutiques, où la pauvreté de tous s’aggravait des gains du commerce, rouage inutile, mangeur de richesse et de force. L’avenue passait, libre, élargie, assainie, inondée de grand soleil, n’ayant plus à ses deux bords que des maisons de travailleurs heureux, pendant que la foule y riait, y chantait, par cette claire matinée de fête triomphale.

«  Mais alors, s’écria Ragu, si le Clouque est ici, sous ces talus gazonnés, le vieux Beauclair se trouvait donc là-bas, à la place de ce parc nouveau, où des façades blanches se cachent à demi dans les ombrages  ?   »

Et, cette fois, il demeura béant. C’était bien le vieux Beauclair, l’amas sordide de masures qui s’étalaient en une mare nauséabonde, des rues sans jour, sans air, empuanties par un ruisseau central. Le misérable monde du travail s’entassait dans ces nids à vermine et à épidémies, y agonisait depuis des siècles, sous l’affreuse iniquité sociale. Surtout, il se rappelait la rue des Trois-Lunes, la plus