Page:Zola - Travail.djvu/613

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toi, mon petit homme… Et c’est fini, soyez bien sages maintenant, embrassez pour moi vos mamans et vos papas. Allez, allez, mes petits agneaux, mes petits poulets, la vie est belle, la vie est bonne  !   »

Ragu, immobile, avait écouté en silence, l’air de plus en plus surpris. Il finit par éclater, avec son terrible ricanement.

«  Dis donc, l’anarchiste, tu ne parles donc plus de faire sauter toute la boutique  ?   »

D’un mouvement brusque, Lange se retourna, le regarda, sans le reconnaître. Il ne se fâcha pas, il se remit à rire.

«  Ah  ! tu me connais, toi dont je ne sais plus le nom… C’est bien vrai, j’ai voulu faire sauter la boutique. Je criais ça partout, à tous les vents, jetant la malédiction à la ville maudite, lui annonçant la destruction prochaine par le fer et la flamme. J’avais même résolu d’être le justicier, en brûlant Beauclair comme dans un coup de foudre… Mais, que veux-tu  ? les choses ont tourné autrement. Il s’est fait assez de justice déjà pour me désarmer. La ville s’est purifiée, s’est rebâtie, et je ne puis pourtant pas la détruire, maintenant qu’on y réalise tout ce que j’ai voulu, tout ce que j’ai rêvé… N’est-ce pas  ? Bonnaire, la paix est faite.  »

Et lui, l’anarchiste d’autrefois, tendit la main à l’ancien collectiviste, avec lequel il avait eu de si furieuses querelles.

«  On se serait mangé, n’est-ce pas, Bonnaire  ? … On était bien d’accord sur la ville de liberté, d’équité et de bonne entente où l’on désirait se rendre. Seulement, on différait sur le chemin à suivre  ; et ceux qui croyaient devoir passer à droite auraient massacré ceux qui prétendaient passer à gauche… Maintenant que nous y sommes, nous serions trop bêtes de nous quereller encore, n’est-ce pas, Bonnaire  ? La paix est faite.  »