Page:Zola - Travail.djvu/623

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de misère, à lui, les cinquante années perdues à rouler d’atelier en hôpital, par le vaste monde. Aujourd’hui, l’expérience était faite, le travail réorganisé, régénéré, avait sauvé le camarade, à demi perdu déjà, tandis qu’il revenait, lui, exterminé par l’ancien travail de misère et de souffrance, le salariat inique, empoisonneur et destructeur. Et, à ce moment, il y eut un spectacle charmant, qui acheva de l’angoisser. Simonne Laboque, née d’Adolphe et de Germaine, une gamine blonde de cinq ans, arrière-petite-fille de Bourron, prit sur la table, de ses petites menottes, des roses effeuillées, et vint les faire pleuvoir sur la tête blanche du bisaïeul, souriant.

«  Tiens  ! grand-père Bourron, en voilà, et en voilà encore  ! C’est pour te faire une couronne… Tiens  ! tiens  ! tu en as dans les cheveux, tu en as dans les oreilles, tu en as sur le nez, tu en as partout  ! … Et bonne fête, bonne fête, grand-père Bourron  !   »

Toute la table riait, applaudissait, acclamait l’ancêtre. Ragu s’enfuit, entraînant Bonnaire. Il tremblait, il défaillait. Puis lorsqu’ils furent un peu à l’écart, il lui demanda brusquement d’une voix sourde  : «  Écoute, à quoi bon le taire davantage  ? Je ne suis venu que pour les voir… Où sont-ils  ? montre-les-moi  !   »

C’était de Luc et de Josine qu’il parlait. Mais, comme Bonnaire ayant compris, tardait à répondre, il continua  :

«  Depuis ce matin, tu me promènes, je fais semblant de m’intéresser à tout, et pourtant je songe à eux seuls, eux seuls me hantent car eux seuls m’ont ramené ici, au travers de tant de fatigues et de souffrances… J’ai su, au loin, que je ne l’avais pas tué, et tous les deux vivent encore, n’est-ce pas  ? ils ont eu beaucoup d’enfants, ils sont heureux, en plein triomphe, n’est-ce pas  ?   »

Bonnaire réfléchissait. Dans la crainte d’un scandale, il avait jusque-là retardé l’inévitable rencontre. Mais sa tactique