Page:Zola - Travail.djvu/64

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pince et creuset compris, le déposa par terre, tel qu’un morceau de soleil d’une blancheur aveuglante, qui tout de suite devint rose. Et il recommença, et il tira les creusets un à un, dans l’incendie accru de ces masses de feu, avec plus d’adresse encore que de force, allant et venant parmi ces braises incandescentes sans jamais se brûler, sans paraître même en sentir l’intolérable rayonnement.

On allait fondre de petits obus, de soixante kilogrammes. Les lingotières, en forme de bouteille, étaient rangées sur deux files.

Alors, quand les aides eurent écrémé les creusets de leurs scories ; à l’aide d’une tige de fer, qui ressortait fumante, avec des baves pourpres, le maître fondeur saisit vivement les creusets, de sa grande tenaille aux mâchoires rondes, en vida deux dans chaque lingotière, et le métal coulait d’un jet de lave blanche, à peine rosée, dans un pétillement de fines étincelles bleues, d’une délicatesse de fleurs. On aurait dit qu’il transvasait de claires liqueurs pailletées d’or, tout cela se faisait sans bruit, avec des gestes précis et légers, d’une beauté simple, dans l’éclat et la chaleur du feu qui changeait la halle entière en un brasier dévorant.

Luc, qui manquait d’habitude, étouffa, ne put rester là davantage. À quatre ou cinq mètres des fours, son visage grillait une sueur brûlante trempait son corps. Les obus l’avaient intéressé, il les regardait se refroidir, en se demandant où étaient les hommes qu’ils tueraient peut-être un jour. Et, comme il passait dans la halle voisine, il se trouva dans la halle des marteaux-pilons et de la presse à forger, endormie à cette heure, avec ses monstrueux outils, sa presse d’une force de deux mille tonnes, ses marteaux de forces moindres, échelonnées, qui avaient, au fond de la demi-obscurité, des profils noirs et trapus de dieux barbares. Là, précisément, il retrouva les obus, d’autres obus qu’on y avait, le jour même, forgés en matrice,