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Page:Zola - Travail.djvu/71

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des monts Bleuses, s’étalaient sur les terrains plats, en une espèce de mare nauséabonde, jusqu’au quartier neuf de la ville. C’était un enchevêtrement tortueux d’étroites rues sans air, sans jour, toutes empuanties par un ruisseau central que seules lavaient les pluies d’orage. On ne pouvait comprendre un pareil entassement de population misérable, en un espace si resserré, lorsque la Roumagne déroulait en face l’immensité de sa plaine, où les libres haleines du ciel soufflaient comme sur une mer. Il fallait l’âpreté des luttes de l’argent et de la propriété, pour mesurer si chichement à des hommes le droit au sol, un peu de la mère commune, les quelques mètres nécessaires à la vie de toutes les heures. Des spéculateurs s’en étaient mêlés, un siècle ou deux de misère avaient abouti à ce cloaque de logements à bon marché d’où les expulsions étaient quand même fréquentes, si bas que fussent les loyers de certains taudis, dans lesquels on n’aurait pas fait coucher des bêtes. Au hasard des terrains, les petites maisons borgnes avaient ainsi poussé, des plâtras humides, des nids à vermine et à épidémies, et quelle tristesse, à cette heure de nuit, sous le ciel lugubre, que cette cité maudite du travail obscure, étranglée, immonde, telle qu’une végétation affreuse de l’injustice sociale !

Bonnaire, qui marchait le premier, suivit une ruelle, tourna dans une autre, arriva enfin à la rue des Trois-Lunes. C’était une des plus étroites, sans trottoirs, pavée de cailloux pointus, ramassés dans le lit de la Mionne. La maison, dont il occupait le premier étage, noire, lézardée, s’était un jour tassée si brusquement, qu’il avait fallu en étayer la façade, à l’aide de quatre grosses poutres ; et Ragu occupait justement avec Josine les trois chambres du second, dont le plancher dévalait, soutenu par ces poutres. En bas, l’escalier, d’une raideur d’échelle, partait du seuil même de la porte, sans vestibule.