Page:Zola - Travail.djvu/73

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Stupéfaite de voir rentrer son mari à cette heure, la Toupe, qui n’était pas prévenue, avait levé la tête.

« Comment, te voilà ! »

Il ne voulut pas engager la grosse querelle, en lui apprenant de suite qu’il quittait l’Abîme, préférant régler d’abord le cas de Josine et de Nanet ; et il répondit évasivement :

« Oui, j’ai fini, je rentre. »

Puis, sans lui laisser le temps de poser une autre question, présenta Luc.

« Tiens ! voici un monsieur, un ami de M. Jordan, qui est venu me demander quelque chose et qui va t’expliquer ça. »

De plus en plus surprise, défiante, la Toupe s’était tournée vers le jeune homme, qui put remarquer alors sa grande ressemblance avec son frère Ragu. Petite et rageuse, elle avait la face accentuée avec d’épais cheveux roux, le front bas, le nez mince, les mâchoires dures. Son teint éclatant de rousse, dont la fraîcheur la rendait encore agréable, l’air jeune, à vingt-huit ans, expliquait seul le goût très vif qui avait décidé Bonnaire à l’épouser, bien qu’il la sût de caractère exécrable. Et l’événement s’était accompli, elle désolait le ménage par ses continuelles colères il devait plier devant elle, sur tous les petits détails de la vie quotidienne, pour avoir la paix. Coquette, dévorée de l’unique ambition d’être bien mise d’avoir des bijoux, elle ne redevenait douce que lorsqu’elle étrennait une robe neuve.

Luc, mis en devoir de parler, sentit le besoin de la gagner d’abord par un compliment. Dès son entrée, la pièce lui avait paru très propre, grâce aux bons soins de la ménagère, dans le dénuement des pauvres meubles qui la garnissaient. Et il s’approcha du lit, il se récria.

« Oh ! les beaux enfants, ils dorment comme des anges ! »