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Page:Zola - Travail.djvu/76

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Et il ne put continuer, dire son idée entière, car Bourron, qui s’était laissé tomber sur une chaise, riant sans cause, maigre et chevalin, de son air d’éternelle belle humeur, disait à Bunnaire :

— Alors, dis donc, c’est vrai, tu quittes l’usine ?

La Toupe se retourna, avec un sursaut, comme si un coup de feu éclatait derrière elle.

— Comment, il quille l’usine 1?

Il y eut un silence. Puis, Bonnaire, courageusement, prit sa décision.

— Oui, je quille l’usine, je ne peux pas faire autrement.

— Tu quittes l’usine, tu quittes l’usine ! clama-t-elle, rageuse, éperdue, en venant se planter devant lui. Ça ne suffit donc pas que tu te sois mis sur les bras cette sale grève, qui, pendant deux mois, nous a forcés à manger toutes nos économies ? Il faut encore, maintenant, que ce soit toi qui payes les pots cassés… Alors, nous allons mourir de faim, et moi, j’irai toute nue !

Sans se fâcher, il répondit doucement :

— C’est possible, tu n’auras peut-être pas de robe neuve au jour de l’an, et peut-être que nous devrons nous serrer le ventre… Mais je te répète que je fais ce que je dois faire.

Elle ne lâcha pas, elle se rapprocha, lui cria dans la face :

— Ah ! ouiche ! si tu crois qu’on t’en sera reconnaissant  ! Déjà les camarades ne se gênent pas pour dire que, sans la grève, ils n’auraient pas crevé la faim pendant deux mois. Et sais-tu ce qu’ils diront, quand ils sauront que tu quittes l’usine ? ils diront que c’est bien fait, et que tu n’es qu’un imbécile… Jamais je ne te laisserai faire une pareille bêtise. Entends-tu ! tu retourneras au travail demain.

Bonnaire la regardait fixement, de son regard clair et