Page:Zola - Travail.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

droit. S’il cédait d’habitude sur les points de police domestique, s’il la laissait régner despotiquement dans le ménage, il devenait de fer quand une question de conscience était en jeu. Aussi, sans élever le ton, d’une voix de maître qu’elle connaissait bien, se contenta-t-il de lui dire :

« Tu vas me faire le plaisir de te taire… C’est des histoires à nous, les hommes, auxquelles les femmes comme toi ne comprennent rien, et dont il vaut mieux qu’elles ne s’occupent pas. Tu es très gentille, mais tu feras bien de te remettre à raccommoder ton linge, si tu ne veux pas que nous nous fâchions. »

Et il la poussa vers la chaise, près de la lampe, la força à s’y rasseoir. Domptée, tremblante d’une colère qu’elle savait désormais impuissante, elle reprit l’aiguille, elle affecta de se désintéresser des questions dont on l’écartait si nettement. Réveillé par le bruit des voix, le père Lunot, sans s’étonner de voir tout ce monde rallumait sa pipe, écoutait d’un air de vieux philosophe désabusé. Et, dans leur petit lit, les enfants eux-mêmes, Lucien et Antoinette tirés de leur sommeil, ouvraient de grands yeux, semblaient tâcher de comprendre les choses graves que disaient les grandes personnes.

Bonnaire, maintenant, s’adressait à Luc, toujours debout comme pour le prendre à témoin.

« Voyons, monsieur, chacun a son honneur, n’est-ce pas ?.. La grève était inévitable, et si elle était à refaire, je la referais, je veux dire que, de tout mon pouvoir, je pousserais les camarades à obtenir justice. On ne peut pourtant pas se laisser manger, le travail doit être payé son prix, à moins qu’on ne se résigne à être de simples esclaves. Nous avions si bien raison, que M. Delaveau a dû céder sur tous les points, en acceptant notre nouveau tarif… Maintenant, je m’aperçois que cet homme est largeur, et qu’il faut, comme dit ma femme,