Page:Zola - Travail.djvu/78

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que quelqu’un paie les pots cassés. Si je ne m’en allais pas de bon gré aujourd’hui, il trouverait un prétexte pour me jeter dehors demain. Alors, quoi ? Vais-je m’entêter à rester, pour être un continuel sujet de querelle ? Non, non ! ça retomberait sur les camarades en ennuis de toutes sortes, ce serait très mal de ma part… J’ai fait semblant de rentrer parce que les camarades parlaient de continuer la grève, si je ne rentrais pas. Mais, à présent que les revoilà au travail, bien tranquilles, j’aime mieux disparaître, puisqu’il le faut. Ça arrange tout, pas un ne bougera, et moi j’aurai fait ce que je dois faire… C’est mon honneur, monsieur, chacun a le sien. »

Il disait ces choses avec une grandeur simple, d’un air si aisé et si brave, que Luc fut profondément ému. De cet ouvrier qu’il avait vu noir et muet, œuvrant si durement devant son four, de cet homme qu’il venait de voir doux et bon, d’une tolérance conciliante dans son ménage, se levait un héros du travail, un de ces lutteurs obscurs qui ont donné tout leur être à la justice, et qui sont fraternels, jusqu’à s’immoler en silence pour les autres.

Violemment, sans cesser de tirer l’aiguille, la Toupe répéta :

« Et nous crèverons de faim !

— Et nous crèverons de faim, c’est bien possible, dit Bonnaire. Mais je dormirai tranquille. »

Ragu se mit à ricaner.

« Oh ! crever de faim, c’est inutile, ça n’a jamais servi à rien. Ce n’est pas que je défende les patrons, une fameuse clique ! Seulement, puisqu’on a besoin d’eux, faut toujours finir par s’entendre et faire à peu près ce qu’ils veulent. »

Il continua, plaisanta, sortit toute son âme. C’était l’ouvrier moyen, ni bon ni mauvais, le produit gâté du salariat, tel que le faisait l’actuelle organisation du travail. Il