lui, devint un roi de l’industrie. En lui s’étaient amassées les forces créatrices, par la longue ascendance ouvrière tous les efforts en germe, toute la poussée séculaire du peuple. Des centaines et des centaines d’années d’énergie latente toute une longue suite d’aïeux têtus et tendant au bonheur, luttant rageusement dans l’ombre, mourant à la peine agissaient enfin aboutissaient à ce triomphateur, capable de dix-huit heures de travail par jour, d’une intelligence, d’une raison, d’une volonté qui emportaient les obstacles. En moins de vingt ans, il fit sortir de terre une ville, il occupa jusqu’à douze cents ouvriers, il gagna des millions ; puis, étouffant dans l’humble maison bâtie par son père il acheta la Guerdache huit cent mille francs, une grande habitation somptueuse, où il y avait de quoi loger dix ménages, avec un beau parc, des terres, une ferme. Dans sa certitude, la Guerdache allait être la maison patriarcale où régnerait luxueusement sa descendance, les nombreux couples d’amour et de joie qui devaient naître de sa richesse, comme d’une terre bénie. Il leur préparait l’avenir de domination qu’il rêvait par le travail dompté, utilisé pour la jouissance d’une élite, car cette force amassée, aujourd’hui débordante, qu’il sentait en lui, n’était-elle pas définitive, infinie n’allait-elle pas se retrouver, même accrue, chez ses enfants, sans de longtemps diminuer et se tarir ? Mais, dans sa solidité de chêne, un premier malheur le frappa jeune encore, en plein pouvoir, à cinquante-deux ans. Une paralysie brusque lui enleva l’usage des deux jambes, et il dut céder la direction de l’Abîme à Michel, son fils aîné.
Michel Qurignon, le troisième du nom, venait d’avoir trente ans. Il avait un frère cadet, Philippe, qui s’était marié à Paris contre la volonté de son père, épousant une femme d’une extraordinaire beauté, mais d’inquiétantes allures ; et, entre les deux garçons, il y avait une