Page:Zola - Travail.djvu/96

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fille, Laure, âgée de vingt-cinq ans déjà qui désolait ses parents par l’extrême dévotion où elle était tombée Lui, Michel, avait épousé très jeune une femme d’une douceur tendre, un peu maladive, dont il avait deux enfants, Gustave et Suzanne, l’un de cinq ans et l’autre de trois, lorsqu’il dut prendre brusquement la direction de l’Abîme. Il fut entendu qu’il gérerait l’usine au nom et au profit de la famille entière chaque membre devant toucher sa part des bénéfices, d’après le partage arrêté d’un commun accord. Bien qu’il n’eût plus, à l’état héroïque, les admirables qualités de son père, ni la résistance au travail, ni la vive intelligence, ni la méthode, il fut d’abord un excellent chef, il réussit pendant dix années à ne pas laisser échoir la maison, il en élargit même un instant les affaires, en renouvelant l’ancien outillage. Mais des chagrins, des deuils l’atteignirent, qui semblaient annoncer les prochains désastres. Sa mère était morte, son père paralysé, ne sortant plus que dans une petite voiture, s’était comme enfermé en un mutisme absolu, depuis qu’il éprouvait de la peine à prononcer certains mots. Ensuite, il dut laisser sa sœur Laure entrer au couvent, la tête perdue d’exaltation mystique, sans que rien pût la retenir à la Guerdache, parmi les joies du monde ; tandis que, de Paris, lui arrivaient des nouvelles lamentables du ménage de son frère Philippe, dont la femme glissait aux aventures scandaleuses, l’entraînant à une existence effrénée de jeu, de sottises et de folies. Enfin, il perdit sa femme, si frêle, si douce, et ce fut pour lui la grande perte, la cause d’une sorte de déséquilibre, qui le jeta au désordre. Il avait déjà cédé à son goût des jolies filles, mais discrètement, tant il avait craint d’attrister la chère créature, toujours souffrante. Quand elle fut partie, rien ne le gêna plus, il prit librement son plaisir où il le trouvait, dans des amours de hasard, où il gâchait le meilleur de son temps et de sa force. Alors, s’écoula une