Page:Zola - Vérité.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fond desquelles, de partout, on apercevait le château, un somptueux château Renaissance, pareil à une dentelle de pierre rose sur le bleu du ciel. Et, devant ce paradis des millions juifs, devant l’éclat de cette fortune que le juif Nathan, le marchand d’or, avait gagnée dans son commerce, un souvenir invincible revint à l’esprit de Marc, celui de la petite boutique noire de la rue du Trou, de la triste masure, sans soleil et sans air, où le juif Lehmann tirait l’aiguille depuis trente ans, en arrivant tout juste à manger du pain. Que d’autres juifs plus misérables encore crevaient de faim dans des cloaques immondes ! Ils étaient l’immense majorité, et tout l’imbécile mensonge de l’antisémitisme apparaissait, cette proscription en masse d’une race, accusée d’accaparement universel, lorsqu’elle comptait tant d’ouvriers pauvres, tant de victimes sociales écrasées sous les toutes-puissances de l’argent, qu’elles fussent juives ou catholiques. Dès qu’un juif devenait un des princes du capital, il achetait un titre de baron, mariait sa fille à un comte de vieille souche, affectait de se montrer plus royaliste que le roi, et finissait par être le renégat, l’antisémite farouche, reniant et égorgeant les siens. Il n’y avait pas de question juive, il n’y avait que la question de l’argent entassé, empoisonneur et pourrisseur.

Comme David et Marc débouchaient devant le château, ils aperçurent, sous un grand chêne, le baron Nathan avec sa fille et son gendre, en compagnie de la marquise de Boise et d’un religieux, dans lequel ils reconnurent le père Crabot en personne. Il y avait eu un déjeuner intime, on avait invité en bon voisin le recteur du collège de Valmarie, les deux domaines n’étant guère qu’à trois kilomètres l’un de l’autre ; et sans doute, au dessert, on avait causé de quelque affaire grave. Puis, on était venu là, sous ce chêne, jouir de la belle après-midi, assis sur des chaises de jardin, près d’une vasque de marbre, où tombait