Page:Zola - Vérité.djvu/109

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se regardèrent, presque amusés, dans leur déconvenue, tant la scène leur apparaissait complète et typique.

— Mort aux juifs ! cria Marc, en se moquant.

— Ah ! Le sale juif ! dit David du même ton d’amère plaisanterie. Il m’a tout bonnement conseillé de lâcher mon frère, et c’est lui qui n’hésiterait pas !… Ce qu’il les a lâchés, et ce qu’il les lâchera, ses frères !… Décidément, ce n’est pas à la porte de mes fameux coreligionnaires tout-puissants que je dois frapper. La peur les rend trop lâches.

Cependant, après avoir mené rondement l’instruction, le juge Daix tardait à rendre son ordonnance. On le soupçonnait d’être en proie à une perplexité croissante, d’esprit professionnel très aigu, trop intelligent pour ne pas avoir flairé la vérité, mais d’autre part préoccupé de l’opinion publique et tyrannisé au logis par sa terrible femme. Mme  Daix, encore une pénitente aimée du père Crabot, dévote, laide et coquette, était travaillée d’une âpre ambition, souffrant de la pauvreté de son ménage, rêvant Paris, les toilettes, le monde, grâce à quelque grosse affaire retentissante. Et elle la tenait, son affaire, elle répétait à son mari qu’il serait bien bête de ne pas saisir l’occasion, car s’il avait la naïveté de relâcher ce sale juif, ils finiraient certainement sur la paille. Mais Daix luttait, honnête encore, troublé pourtant, ne se pressant plus dans le dernier espoir qu’un incident se produirait, qui lui permettrait de concilier son intérêt et son devoir. Et ces nouveaux retards semblaient du meilleur augure à Marc, très au courant de l’angoisse où se débattait le juge, mais optimiste, convaincu toujours que la vérité avait en elle une force irrésistible, à laquelle cédaient toutes les âmes.

Depuis l’affaire, souvent il allait, le matin, voir à Beaumont son vieil ami Salvan, le directeur de l’École normale. Il le trouvait très renseigné, il puisait aussi dans