Page:Zola - Vérité.djvu/108

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David, devenu pâle et froid, le laissait aller, sans même l’interrompre. Puis tranquillement :

— Mais, monsieur, je ne vous demande rien. C’est à monsieur le baron que j’avais cru pouvoir m’adresser.

Alors, Nathan, voyant la scène devenir trop vive, intervint, emmena David et Marc, comme pour les reconduire un instant, dans le parc. Aux éclats de voix du comte, le père Crabot avait un instant levé la tête ; puis, il s’était remis à son aimable causerie mondaine, entre la comtesse et la marquise, deux de ses plus chères pénitentes. Et, Sanglebœuf les ayant rejoints, on entendit très bien leurs rires, leur triomphe, cette verte leçon qu’il se flattait d’avoir donnée à deux sales juifs, et dont s’égayaient ces dames et leur directeur.

— Que voulez-vous ? ils sont tous comme ça, déclara Nathan à David et à Marc, en baissant la voix, lorsqu’ils se furent éloignés d’une trentaine de pas. J’ai appelé mon gendre pour que vous jugiez par vous-mêmes dans quel esprit est le département, j’entends les hautes classes, députés, fonctionnaires, magistrats. Alors, comment pourrais-je vous être utile ? Personne ne m’écouterait.

Mais cette hypocrite bonhomie, où frissonnait la séculaire peur atavique, dut finir par lui paraître à lui-même peu brave.

— D’ailleurs, ils ont raison, je suis des leurs, la France avant tout, avec son passé glorieux et l’ensemble de ses solides traditions. Nous ne pouvons la livrer aux mains des francs-maçons et des cosmopolites… Et, tenez mon cher David, je ne vous laisserai pas partir sans vous donner un bon conseil. Lâchez carrément cette affaire, vous allez y perdre, un coulage à pic, un désastre. Votre frère se débrouillera tout seul, s’il est innocent.

Ce fut son dernier mot, il leur serra la main, s’en retourna d’un pas tranquille, tandis que, muets l’un et l’autre, ils sortaient du parc. Mais, dehors, sur la route, ils