Car, ne vous y trompez pas, si le juge Daix n’a pas signé une ordonnance de non-lieu, c’est qu’il a senti peser sur lui l’opinion publique, triste et pauvre homme à l’honnêteté chancelante, dont la femme est, elle aussi, une terrible pourrisseuse ; et l’opinion publique, c’est Le Petit Beaumontais qui se flatte de la faire, cause première de l’iniquité, semence d’imbécillité et de cruauté jetée partout dans les masses profondes, et dont nous allons, je le crains, voir maintenant se lever l’exécrable moisson.
Salvan se laissa tomber sur son fauteuil, devant son bureau, d’un air d’angoisse désespérée. Et il y eut un silence, pendant que Marc marchait à pas lents, accablé lui aussi sous ces idées, qui étaient les siennes. Il s’arrêta, il demanda :
— Pourtant, il faut prendre une décision, qu’allons-nous faire ? Admettons qu’ils fassent ce procès inique, Simon ne peut être condamné, ce serait trop monstrueux. Et nous ne resterons pas les bras croisés, je pense… Quand ce pauvre David aura reçu ce coup terrible, il voudra agir. Que nous conseillez-vous ?
— Ah ! mon ami, cria Salvan, comme j’agirais de bon cœur le premier, si vous m’en donniez les moyens !… N’est-ce pas ? vous vous doutez bien que c’est l’instituteur laïque qu’on poursuit et qu’on tâche d’écraser, avec ce malheureux Simon. Notre chère École normale est la pépinière des sans-Dieu et des sans-patrie qu’ils s’acharnent à détruire, et moi-même, son directeur, je suis une manière de Satan, engendreur de missionnaires athées, dont ils rêvent depuis longtemps la perte. Quel triomphe pour la bande congréganiste, si un de nos anciens élèves montait sur l’échafaud, convaincu d’un crime infâme !… Ah ! ma pauvre École, ma pauvre maison, elle que je rêve si utile, si grande, si nécessaire aux destinées du pays, quels terribles moments on va encore lui faire passer !