Page:Zola - Vérité.djvu/117

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qu’il soutient si bravement. Rien ne sert de le bousculer, il entend agir à son heure, avec ses moyens à lui ; et, certainement, il fera tenir tranquille Mauraisin, s’il ne peut rendre à Simon de service plus direct… Mais, ce que je vous conseille, c’est d’aller voir Lemarrois, notre maire et notre député, l’ancien ami de Berthereau, le père de votre femme, que vous connaissez très bien, n’est-ce pas ? Il peut vous être utile.

Sur le trottoir, Marc prit la résolution de se rendre tout de suite chez Lemarrois. Onze heures sonnaient, il le trouverait sans doute. Et, par la rue Gambetta, qui coupait Beaumont en deux, allant du lycée à l’hôtel de ville, il gagna l’avenue des Jaffres, la promenade fameuse, qui traversait la ville dans l’autre sens, de la préfecture à la cathédrale. C’était sur l’avenue, en plein quartier aristocratique, que Lemarrois possédait un hôtel luxueux, dans lequel la belle Mme  Lemarrois, une Parisienne, donnait des fêtes. Riche, médecin réputé déjà, il l’avait amenée de Paris, lorsqu’il était revenu exercer dans sa ville natale, avec des ambitions politiques. On disait que tout jeune, lorsqu’il faisait sa médecine, une rencontre l’avait rapproché de Gambetta, en l’intimité duquel il avait vécu, très enthousiaste, républicain solide, disciple favori du grand homme. Aussi était-il regardé à Beaumont comme le pilier de la République bourgeoise, mari d’une femme aimable, très populaire lui-même près des pauvres qu’il soignait gratuitement, intelligent et brave homme au fond. Sa fortune politique devait être rapide, d’abord conseiller municipal, puis conseiller général, enfin député et maire. Depuis douze ans, il était installé à la mairie et dans son mandat de député, ainsi que dans un domaine acquis dont il se croyait le possesseur légitime, maître encore incontesté de la ville, chef de la députation du département, parmi laquelle pourtant se trouvaient des réactionnaires.