Page:Zola - Vérité.djvu/128

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aussi sa haine de l’enfant, sa fureur de le voir catholique ; on insinuait même la possibilité du meurtre rituel, cette abominable légende ancrée comme une certitude dans l’esprit des foules. D’ailleurs, sans pousser jusque-là, la scène se reconstruisait aisément : l’acte immonde, la résistance de l’enfant, une lutte, des cris, le criminel qui s’affole, qui lui enfonce d’abord dans la bouche ce qu’il trouve sous sa main, pour le faire taire, puis qui, épouvanté, la tête perdue, l’étrangle, quand le bâillon improvisé a été rejeté et que les cris recommencent, plus terribles. Il n’était pas aussi commode d’expliquer comment Simon avait eu sous la main le numéro du Petit Beaumontais et le modèle d’écriture, mêlés l’un à l’autre. Sûrement, le numéro du journal était dans sa poche, car ce numéro ne pouvait pas être chez l’enfant. Quant au modèle d’écriture, l’accusation avait hésité : peut-être l’enfant l’avait-il chez lui, peut-être était-il dans la poche de Simon ; et cette dernière hypothèse avait fini par être adoptée comme la plus logique, le rapport des deux experts ayant prouvé que le modèle était bien à l’instituteur, puisqu’il portait ses deux initiales. Enfin, le crime accompli, le reste allait de soi, Simon laissait le petit corps par terre, ne rangeait rien dans la chambre en désordre, se contentait de rouvrir la fenêtre toute grande, afin de faire croire que le meurtrier était venu du dehors. Il n’avait eu que la maladresse incroyable, de ne pas ramasser et détruire le journal et le modèle, roulés au pied du lit, ce qui montrait dans quel trouble extrême il se trouvait. Aussi ne devait-il pas être remonté tout de suite auprès de sa femme, qui avait constaté l’heure de son arrivée, minuit moins vingt, et sans doute s’était-il assis quelque temps sur une marche de l’escalier, pour se calmer un peu.

L’accusation n’aggravait pas les choses jusqu’à croire Mme Simon complice ; pourtant, elle laissait entendre qu’elle ne