Page:Zola - Vérité.djvu/140

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désireuse de ne pas se créer d’ennui. La Politique, les sénateurs comme les députés, ainsi que Lemarrois l’avait prédit, se taisaient, par terreur de n’être pas réélus, s’ils disaient autrement que leurs électeurs. L’Église, où l’évêque avait cessé de compter et dont le véritable chef était le père Crabot, exigeait des bûchers, l’extermination des juifs, des protestants et des francs-maçons. L’armée, par la voix du général Garous, réclamait elle aussi un nettoyage du pays, le rétablissement d’un empereur ou d’un roi, quand on aurait sabré les sans-patrie et les sans-Dieu. Et restait la Magistrature, vers laquelle tous les espoirs se tournaient, car n’avait-elle pas en main le dénouement, la condamnation du sale juif, qui seule assurerait le salut de la France ? Le président Gragnon et le procureur de la République Raoul de La Bissonnière étaient ainsi devenus des personnages considérables, dont personne ne doutait, leur anti-simonisme étant de notoriété publique, comme leur désir d’avancement et leur passion de popularité.

Lorsque les noms des jurés furent connus, il y eut une recrudescence de violences et d’intrigues. Parmi ces jurés se trouvaient de nombreux boutiquiers, quelques industriels, deux capitaines en retraite, un médecin, un architecte. Et, tout de suite, une campagne s’ouvrit, on exerça sur eux la plus terrible des pressions, Le Petit Beaumontais imprima leurs noms et leurs adresses, en les désignant à la fureur de la foule, s’ils ne condamnaient pas. Ils recevaient des lettres anonymes, certaines visites inattendues les bouleversaient, leur entourage les suppliait de songer à leurs femmes et à leurs enfants. Pendant ce temps, dans les salons de l’avenue des Jaffres, l’amusement était de se livrer à des pointages, au sujet des opinions plus ou moins certaines de chacun des jurés. Le jury condamnerait-il, ne condamnerait-il pas ? c’était