Page:Zola - Vérité.djvu/141

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un jeu de société. Au jour de la belle Mme  Lemarrois surtout, le samedi, on ne parlait pas d’autre chose. Et toutes ces dames venaient : la générale Jarousse, petite, laide et noiraude, ce qui ne l’empêchait pas, disait-on, de faire le général cocu, abominablement ; la présidente Gragnon, superbe encore, très langoureuse, aimée des jeunes substituts, la préfète Hennebise, une Parisienne fine et prudente, parlant peu, écoutant beaucoup ; et l’on y voyait aussi l’âpre Mme  Daix, la femme du juge d’instruction, parfois même Mme  de La Bissonnière, la femme du procureur de la République, très douce, très effacée, qui allait rarement dans le monde. Toutes s’étaient rendues à une grande fête donnée à la Désirade par les Sanglebœuf, sur le conseil du baron Nathan, qui avait décidé sa fille Lia, la catholique Marie d’aujourd’hui, à secouer sa nonchalance, pour se mettre, comme ces dames, au service de la bonne cause. Le rôle des femmes, dans l’affaire, fut en effet considérable : elles valaient une armée, selon le mot du jeune député Marcilly, simoniste avec les uns, anti-simoniste avec les autres, attendant la victoire. Et une querelle dernière acheva de bouleverser les cervelles, lorsque Le Petit Beaumontais, un matin, lança la question du huis clos, la nécessité de fermer les portes pour une partie de l’interrogatoire et l’audition de certains témoins. Le journal n’avait sûrement pas trouvé cela tout seul, on y sentait la connaissance profonde des foules, l’espoir de ce que le mystère ajouterait de monstrueux à l’accusation, la commodité ensuite de justifier la condamnation de l’innocent par les charges que le public n’aurait pas connues. Les simonistes sentirent le danger, protestèrent, exigèrent la pleine clarté, les débats au grand jour ; tandis que les anti-simonistes, saisis d’une indignation vertueuse, criaient au scandale, demandaient si l’on allait souiller les oreilles des honnêtes gens, en leur faisant entendre d’abominables