Page:Zola - Vérité.djvu/150

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jusqu’à une haute personnalité devant laquelle tous les honnêtes gens s’inclinaient avec respect. C’était la religion outragée, les passions anarchistes lâchées, le pays entier conduit aux abîmes par les sans-Dieu et les sans-patrie. Là-dessus, pendant près de trois heures, il ne cessa plus de foudroyer les ennemis de la société, en phrases trop fleuries, se redressant dans sa petite taille, comme s’il se fût senti emporté aux hautes destinées qu’il ambitionnait. En finissant, il fit de l’ironie, il voulut savoir s’il suffisait d’être juif, pour être quand même innocent, et il demanda au jury toute sa sévérité, la tête du misérable, souilleur et tueur d’enfant. Des applaudissements frénétiques éclatèrent, et Delbos, dans une réplique véhémente, exaspérée, acheva de se faire couvrir d’injures et de menaces.

Il était déjà sept heures du soir, lorsque le jury se retira dans la chambre de ses délibérations. Comme les questions que la cour lui avait posées étaient peu nombreuses, on espérait bien en être quitte en moins d’une heure et pouvoir aller dîner. La nuit était venue, quelques grosses lampes, posées sur les tables, éclairaient à peine la vaste salle. Au banc de la presse, où travaillaient encore les journalistes accourus de partout, on avait planté des bougies qui ressemblaient à des cierges. Dans cet air fumeux et surchauffé, empli de grandes ombres tragiques, pas une dame ne quitta la place, la foule s’entêta, fantomatique sous les hasards de l’éclairage. Toutes les passions se déchaînaient, on causait à voix haute, un tumulte étourdissant, au milieu d’une agitation, d’un bouillonnement de cuve ardente. Les quelques simonistes triomphaient, déclaraient que le jury ne pouvait condamner. Malgré l’accueil bruyant fait à la réplique de La Bissonnière, les anti-simonistes, dont la salle était comble, grâce aux sages dispositions du président Gragnon, se montraient nerveux, tremblaient de voir la victime