leur échapper. On assurait que l’architecte Jacquin, le chef du jury, avait parlé à quelqu’un de son angoisse de juge, devant l’absolu manque de preuves. On citait jusqu’à trois autres jurés, dont les visages, pendant les débats, avaient semblé favorables à l’accusé. Un acquittement devenait possible. Et ce fut ainsi une attente peu à peu exaspérée, une attente qui se prolongea indéfiniment, contre toutes les suppositions.
Huit heures sonnèrent, neuf heures sonnèrent, et le jury ne reparaissait toujours pas. Depuis deux grandes heures, il était enfermé, sans arriver sans doute à se mettre d’accord. Cela ne fit qu’augmenter les incertitudes. Bien que les portes de la salle des délibérations fussent étroitement closes, des bruits s’en échappaient, des renseignements arrivaient, on ne savait comment, qui achevaient de bouleverser l’auditoire mourant de faim, brisé de lassitude et d’impatience. Brusquement, on apprit que le chef du jury, au nom de ses collègues, avait fait prier le président de se rendre auprès d’eux. Selon un autre voisin, c’était le président lui-même qui s’était mis à la disposition de ces messieurs, en insistant pour les voir ; et cela paraissait peu correct. Puis, l’attente recommença, de longues minutes se passèrent encore. Que pouvait donc faire le président chez les jurés ? Légalement, il ne devait les renseigner que sur l’application de la loi, dans le cas où ils craindraient d’ignorer les conséquences de leur vote. C’était bien long, pour une simple explication de cette sorte, à ce point qu’un nouveau bruit se répandit parmi les intimes de Gragnon, qui ne semblèrent pas se douter de l’énormité d’une telle histoire : une communication suprême faite par le président au jury, une pièce arrivée après la clôture des débats et qu’il avait senti l’impérieuse nécessité de porter à sa connaissance, en dehors de la défense et de l’accusé. Et dix heures sonnaient, lorsque le jury reparut.