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Page:Zola - Vérité.djvu/155

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que la commune donnait autrefois à l’instituteur pour sonner la cloche, et que Marc touchait toujours, bien qu’il eût refusé de sonner, absolument.

Mais Martineau n’était point d’une conquête facile, quand il était soutenu. De même que l’abbé, de face carrée et de forte encolure, roux avec des yeux clairs, il parlait peu, se méfiait beaucoup. Il passait pour le cultivateur le plus riche de la commune, très considéré de ses concitoyens, à cause de ses vastes champs, et depuis dix ans il était maire de Jonville, réélu à chaque élection nouvelle. Sans instruction, sachant à peine lire et écrire, il n’aimait point se prononcer, entre l’école et l’église, mettant sa politique à rester en dehors, bien qu’il finit toujours par se donner à celui des deux qu’il sentait le plus solide, du curé ou de l’instituteur. Et, secrètement, il était avec ce dernier plutôt, ayant dans le sang cette hostilité, cette rancune séculaire du paysan contre le prêtre, le prêtre paresseux et jouisseur, qui ne fait rien et veut être payé, qui s’empare de la femme et débauche la fille, au nom d’un Dieu invisible, jaloux et méchant. Mais, s’il ne pratiquait pas, jamais il n’avait marché seul contre son curé, dans la pensée que ces gens-là, tout de même, étaient rudement forts. Et il avait fallu la tranquille énergie de Marc, sa volonté et son intelligence, pour que Martineau se mît de son côté, le laissant marcher, sans trop s’engager lui-même.

Ce fut alors que l’abbé Cognasse eut l’idée d’employer la belle Martineau, non pas qu’elle fût de ses pénitentes, car elle ne pratiquait pas non plus, mais parce qu’il la voyait très régulièrement à l’église, les dimanches et les fêtes. Très brune, avec de gros yeux et une bouche fraîche, le corsage déjà débordant, elle avait la réputation d’être coquette ; et c’était vrai, elle aimait étrenner une robe, sortir un bonnet de dentelle, se parer de ses bijoux d’or. Son assiduité aux offices n’avait pas d’autre