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Page:Zola - Vérité.djvu/159

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des coteaux, aux routes malaisées, l’isolant, le retranchant du monde ; et il n’était point misérable pourtant, on n’y connaissait pas un pauvre, chaque famille y possédait des terres fertiles, y vivait dans la paix endormie de sa routine. Le maire, Saleur, un gros homme trapu, au mufle bovin, la tête dans les épaules, ancien éleveur, s’était brusquement enrichi, en vendant fort cher ses prairies, ses parcs, ses bestiaux, à une Société anonyme qui syndiquait tout l’élevage de l’arrondissement.

Depuis cette vente, il avait fait arranger sa maison en villa cossue, il était devenu un rentier, un bourgeois, dont le fils, Honoré, suivait les cours du lycée de Beaumont, en attendant d’aller étudier à Paris. Aussi pensait-il bien qu’il fût très jalousé et peu aimé, les gens du Moreux le renommaient-ils maire à chaque élection, pour l’unique raison que, n’ayant rien à faire, il pouvait à l’aise s’occuper des affaires de la commune. Il s’en déchargeait d’ailleurs lui-même sur l’instituteur, Férou, auquel le secrétariat de la mairie rapportait cent quatre-vingts francs par an, et qui, à ce prix, devait fournir un travail considérable, des lettres, des rapports, des écritures, autant de soucis de toutes les heures. D’une ignorance crasse, sachant à peine signer son nom, épais et lourd, quoique pas mauvais homme au fond, Saleur traitait Férou en simple machine à écrire, d’un mépris tranquille d’homme qui n’avait pas eu besoin d’en tant savoir, pour faire fortune et vivre grassement. En outre, il lui gardait rancune d’avoir rompu avec l’abbé Cognasse, en refusant de mener ses élèves à l’église et de chanter au lutrin ; non pas qu’il pratiquât lui-même, allant simplement à la messe au nom du bon ordre, ainsi que sa femme, une maigre rousse insignifiante, ni dévote, ni coquette, pour qui l’office, le dimanche, rentrait dans ses devoirs de paysanne devenue dame ; mais parce que cette attitude révoltée de l’instituteur aggravait encore les continuelles querelles du curé de