Page:Zola - Vérité.djvu/172

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pauvre, si peu payé, en face du curé grassement entretenu. Et Salvan tombait d’accord que cette misère était en grande partie la cause à discrédit sans cesse aggravé qui frappait la situation d’instituteur primaire. Si les Écoles normales recrutaient difficilement, c’était que les cinquante-deux sous par jour, à trente ans, du maître titularisé, ne tentaient plus personne. On avait trop dit les déboires, les vexations, la gêne honteuse du métier. Les fils de paysans, désireux d’échapper à la charrue, parmi lesquels ces écoles, ainsi que les séminaires, trouvaient surtout leurs élèves, préféraient maintenant se faire petits employés, aller à la ville conquérir la fortune. Seule l’exonération militaire, grâce à l’engagement de dix années d’enseignement, les décidait encore à entrer dans cette galère, où il y avait peu d’argent et peu d’honneurs, beaucoup de tourment et beaucoup de mépris à attendre. Et, pourtant, ce recrutement des Écoles normales était la question mère, celle d’où dépendaient l’instruction du pays, sa force même et son salut. Il n’y en avait qu’une autre d’aussi importante, la préparation de ces maîtres d’école de demain, la bonne flamme de raison et de logique dont on les animerait, le cœur brûlant de vérité et de justice dont on leur chaufferait la poitrine. Le recrutement dépendait uniquement d’une rémunération plus large, enfin raisonnable, permettant de vivre avec dignité, rendant à la profession sa haute noblesse ; tandis que l’instruction et l’éducation des élèves-maîtres comportaient tout un nouveau programme. Salvan le disait avec justesse : tant valait l’instituteur primaire, tant vaudrait l’enseignement, la mentalité des humbles, de l’immense majorité de la nation ; et, au bout, il y avait la France future, ce que deviendrait le pays. C’était la question de vie ou de mort. Et la mission que Salvan s’était donnée consistait à préparer les instituteurs pour la besogne de libération dont on les chargerait.