Page:Zola - Vérité.djvu/178

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d’y compromettre sa fortune de gros entrepreneur. Il revit passer surtout les Bongard, les Doloir, les Savin, les Milhomme, tous ces êtres d’une intelligence et d’une moralité moyennes, qui lui avaient tenu de si étranges discours, où la cruauté le disputait à l’imbécillité, tandis que, derrière eux, il y avait la masse, la foule, en proie à des contes plus saugrenus encore, capable de férocités plus immédiates. C’étaient des superstitions de sauvages, une mentalité de peuple barbare, adorant des fétiches, mettant sa gloire dans le massacre et le vol, sans tolérance, sans raison, sans bonté. Et, alors, la question se posait très nettement : pourquoi s’enfonçaient-ils, restaient-ils à l’aise, dans cette crasse épaisse d’erreurs et de mensonges ? pourquoi se refusaient-ils à la logique, au simple raisonnement, avec une sorte de haine instinctive, comme s’ils avaient une terreur de tout ce qui est pur, simple et clair ? pourquoi fermaient-ils les yeux à la splendeur évidente du soleil, niant le jour, plutôt que de l’accepter ? enfin, pourquoi, dans l’affaire Simon, avaient-ils donné cette extraordinaire et lamentable spectacle d’un peuple, à la sensibilité, à l’intelligence paralysées, qui ne veut ni voir ni comprendre, qui se butte contre la certitude, qui fait autour de lui, qui ramène sur lui le plus de ténèbres possible, afin de ne pas voir clair, de hurler à la mort, dans la nuit de ses superstitions et de ses préjugés ? Certainement, on avait empoisonné ce peuple, des journaux comme La Croix de Beaumont et Le Petit Beaumontais lui versaient chaque matin l’abominable breuvage qui corrompt et fait délirer. Les pauvres cerveaux enfants, les cœurs sans courage, tous les souffrants et les humbles, abêtis de servage et de misère, sont la proie facile des faussaires et des menteurs, des exploiteurs de la crédulité publique. De tous temps, les maîtres du monde, les Églises, les Empires, les Royautés, n’ont régné sur les cohues de misérables, qu’en