Page:Zola - Vérité.djvu/179

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les empoisonnant après les avoir volées, en les maintenant dans l’épouvante et la servitude des croyances fausses. Mais l’empoisonnement ne suffisait pas à expliquer cette somnolence de la conscience, ce néant où sommeillait l’intelligence populaire. Pour que le peuple se laissât empoisonner si aisément, il fallait qu’il n’eût encore en lui aucune force de résistance. Le poison agit surtout sur les ignorants, ceux qui ne savent pas, qui sont incapables de critique, d’examen et de discussion. Et, à la base de tant de douleur, d’iniquité, d’ignominie, on trouvait ainsi l’ignorance, la cause première et unique du long calvaire de l’humanité en marche, cette montée si rude et si lente vers la lumière, au travers de toutes les fanges et de tous les crimes de l’Histoire. Et c’était là sûrement, à cette base, qu’il fallait toujours reprendre la libération des peuples, à l’instruction des masses profondes, car la preuve venait d’en être faite une fois de plus, tout peuple ignorant est incapable d’équité, la vérité seule le met en puissance de justice.

Mais, à ce point de ses réflexions, Marc fut pris d’un étonnement. Comment donc, en France, le petit peuple, des profondes campagnes et des cités industrielles pouvait-il en être encore à cette mentalité fétichiste de sauvages ? Est-ce qu’on n’était pas en République depuis un tiers de siècle, est-ce que les fondateurs du régime n’avaient pas eu la nette conscience des nécessités nouvelles, en basant le libre État sur des lois scolaires, l’école primaire remise en honneur et en force, désormais gratuite, obligatoire et laïque ? Ils avaient pu croire dès lors que la bonne œuvre était faite, la République ensemencée. Une démocratie consciente, délivrée enfin des erreurs et des mensonges séculaires, allait pousser du sol de France. Au bout de dix ans, de vingt ans, les générations sorties des écoles, nourries de la vérité, s’évaderaient de plus en plus des antiques cachots,