Page:Zola - Vérité.djvu/232

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Marc avait fait attribuer les trente francs à un ancien horloger, retiré dans le pays, pour qu’il réparât et entretint la vieille horloge du clocher, détraquée toujours, il arriva qu’elle se détraqua de nouveau, et que les paysans ne surent plus jamais l’heure, tellement elle avait des sauts brusques d’avance ou de retard. Ainsi que le disait Mlle Mazeline, avec un sourire désespéré, cette horloge était l’image du pays, où plus rien ne marchait selon le bon sens et la logique.

Le pis était que le triomphe de l’abbé Cognasse avait son retentissement au Moreux, dont le maire, Saleur, l’ancien marchand de bœufs, impressionné par ce qui se passait à Jonville, craignant de gâter sa vie grasse d’enrichi, retournait à l’église, malgré son peu de tendresse pour les curés. Et, en fin de compte, c’était l’instituteur Férou, le misérable, le révolté, qui payait les frais de la réconciliation. Maintenant les jours où l’abbé Cognasse venait dire la messe au Moreux, il avait la victoire insolente, il infligeait à l’instituteur des humiliations, que celui-ci devait accepter, abandonné du maire et du conseil municipal. Jamais pauvre homme n’avait vécu dans une rage pareille, avec sa vaste et vive intelligence, au milieu de tant d’ignorance et de méchanceté, jeté aux idées extrêmes par la misère croissante. Sa femme, exténuée de gros travaux, et ses trois fillettes, si pâles, si chétives, mouraient de faim. Bien que la dette achevât de le dévorer, il ne se soumettait pas, plus âpre, plus dégingandé, dans ses vieilles redingotes blanchies, refusant non seulement de conduire ses élèves à la messe, mais grondant des injures, le dimanche, sur le passage du curé. La catastrophe était prochaine, la révocation inévitable, avec cette aggravation que le malheureux, ayant encore deux ans à faire, avant la fin de son engagement décennal, serait repris par le service militaire. Et que deviendraient la triste femme et