Page:Zola - Vérité.djvu/278

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toujours à venir. C’était sans doute que tout un événement nouveau qui passionnait le pays, détournait l’attention de ce qui se passait à l’école laïque de Maillebois. Depuis quelque temps, le curé de Jonville, l’abbé Cognasse, dont le triomphe était complet, méditait de frapper un grand coup, en décidant le maire Martineau à lui laisser consacrer la commune au Sacré-Cœur de Jésus. L’idée ne devait pas être de lui, on l’avait vu pendant un mois se rendre chaque jeudi matin au collège de Valmarie, où il avait de longues conférences avec le père Crabot. Et un mot de Férou, l’instituteur du Moreux, courait, indignant les uns et faisant plaisanter les autres.

— Si ces sales jésuites apportent ici leur cœur de bœuf éventré, j’irai leur cracher à la figure.

Désormais, le culte du Sacré-Cœur absorbait toute la religion du Christ, finissait par être comme une seconde incarnation de Jésus, un nouveau catholicisme. Cette vision maladive d’une pauvre hystérique, l’ardente et triste Marie Alacoque, ce cœur réel et sanglant, à demi arraché d’une poitrine ouverte, devenait le symbole d’une foi plus grossière, rabaissée à des besoins de satisfaction charnelle. Il semblait que l’ancien culte épuré d’un Jésus immatériel, envolé dans la nue près du Père, fût trop délicat pour des âmes modernes, désireuses de jouissances terrestres, et c’était la chair même de Jésus, son cœur de chair, mis à l’étal de la boucherie divine, qu’on avait résolu de servir aux peuples dévots, pour leur pâture quotidienne de superstition et d’abêtissement. On aurait dit la préméditation d’un attentat contre la raison humaine, un avilissement voulu de la société, pour que les masses soient plus écrasées par le mensonge, plus stupides et plus serviles. Sous le culte du Sacré-Cœur, il n’y avait plus que des tribus d’idolâtres, de fétichistes adorant un