Page:Zola - Vérité.djvu/284

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corps, seule représentante de la force et de l’autorité sur la terre ?

Elle ne tarderait pas à refaire le bonheur de sa bien-aimée Fille aînée, enfin repentante de ses erreurs, soumise et uniquement désireuse de son salut. Toutes les communes allaient suivre l’exemple de Jonville, la patrie entière se donnerait bientôt au Divin Cœur, la France retrouverait son empire sur le monde, par le culte du drapeau national devenu le drapeau de Jésus. Il y eut des cris de sainte ivresse, et la magnifique cérémonie se termina dans la sacristie, où défila de nouveau le conseil municipal, le maire en tête pour signer l’acte officiel et authentique, sur parchemin, où il était écrit que la commune de Jonville se consacrait tout entière et pour toujours au Divin Cœur, en un pieux renoncement du pouvoir civil devant le pouvoir religieux.

Mais, à la sortie, un scandale éclata. Férou, l’instituteur du Moreux, était parmi la foule, plus ravagé et plus ardent, vêtu d’une redingote lamentable. Il avait glissé aux pires tortures de la dette, traqué pour des pièces de dix et de vingt sous, ne trouvant même plus le crédit des six livres de pain dont il avait besoin chaque jour pour nourrir sa femme, épuisée de gros travaux, et ses trois maigres filles, toujours souffrantes. Ses misérables cent francs par mois tombaient à l’avance au fond de ce gouffre sans cesse élargi et ses petits appointements de secrétaire de la mairie se trouvaient frappés de continuelles oppositions. Aussi cette misère croissante, inguérissable, avait-elle achevé de le faire tomber dans le mépris des paysans de la commune, tous à leur aise, mis en défiance contre la science qui ne nourrissait pas même l’homme chargé de l’enseigner. Et Férou, le seul intelligent, le seul cultivé, dans ce milieu d’épaisse ignorance, s’exaspérait chaque jour davantage d’être le pauvre, lui qui savait, lorsque les ignorants étaient les