Page:Zola - Vérité.djvu/293

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le prêtre simplement se servait aujourd’hui pour assurer le règne de Dieu.

Marc rétablissait sans peine les conditions dans lesquelles avait grandi Geneviève. C’était, au premier âge, l’aimable couvent des sœurs de la Visitation, avec toutes sortes de douceurs dévotes : la prière du soir, à genoux dans le petit lit blanc ; le bon Dieu qui s’occupe paternellement des enfants dociles ; la chapelle étincelante, où monsieur le curé racontait des histoires admirables de chrétiens sauvés des lions, d’anges gardiens veillant sur des berceaux, emmenant au ciel les pures âmes aimées du Seigneur. Puis, venait la première communion, et il y fallait des années de préparations savantes ; les extraordinaires mystères du catéchisme enseignés au fond de ténèbres redoutables, troublant à jamais la raison, allumant la fièvre perverse des curiosités mystiques. Dès lors, à l’heure trouble de la puberté, la jeune fille naissante, ravie de sa robe blanche, la première robe de mariée, était fiancée à Jésus, s’unissait à l’amant divin, dont pour toujours elle acceptait le doux esclavage ; et l’homme pouvait venir ensuite, il la trouvait déjà possédée, déflorée par cet amant qui renaîtrait et la lui disputerait, avec toute la force obsédante du souvenir. Sans cesse, au cours de sa vie, la femme reverrait les cierges luire, sentirait l’encens la pénétrer de langueur, retomberait à cet éveil de ses sens, parmi les chuchotements du confessionnal et les pâmoisons de la sainte table. Elle achevait ensuite de grandir, au milieu des pires préjugés, nourrie des erreurs et des mensonges séculaires, enfermée étroitement surtout, afin que rien du monde réel ne pût parvenir jusqu’à elle. Et, quand elle quittait les bonnes sœurs de la Visitation, la grande fille de seize ans était ainsi un miracle de perversion et d’abêtissement, la femme obscurcie, déviée de son rôle, ignorante des autres et elle-même, n’apportant dans sa beauté, pour son action d’amante et d’épouse, que le