Page:Zola - Vérité.djvu/340

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en avait en réalité le gros souci. Et les bénéfices, prudemment employés, lui suffisaient pour son autre œuvre, sa vraie mission, la continuelle enquête poursuivie sans relâche. Même on le croyait avare, on l’accusait de gagner des sommes considérables et de ne pas venir en aide à sa belle-sœur, dans ce pauvre logis des Lehmann, où tant de travail aboutissait à tant de privations. Un instant, il faillit être dépossédé de sa carrière, les Sanglebœuf menaçaient de lui faire un procès, poussés évidemment par le père Crabot, qui aurait voulu chasser du pays, ou tout au moins priver de ressources, ce David si muet et si actif, dont il sentait le continuel cheminement dans l’ombre. Heureusement, il avait un bail de trente années consenti autrefois par le baron, et il put continuer l’extraction des cailloux et du sable, qui lui assurait l’argent dont il avait besoin. Son gros effort portait depuis longtemps sur la communication illégale qu’il soupçonnait, faite par le président Gragnon au jury, dans la chambre des délibérations, après la clôture des débats. À la suite de recherches sans fin, il avait à peu près reconstitué la scène : le président appelé par les jurés, pris de scrupules, désireux de le questionner sur l’application de la peine ; et l’ancienne lettre de Simon qu’il avait alors cru pouvoir leur montrer, pour calmer leurs scrupules, lettre remise entre ses mains à l’instant même ; et cette lettre à un ami, d’un texte insignifiant, mais qui était suivie d’un post-scriptum signé d’un paraphe absolument semblable, disait-on, à celui du modèle d’écriture. Ce document singulier, produit ainsi au dernier moment, en dehors de l’accusé et de la défense, avait à coup sûr entraîné la condamnation. Seulement, de quelle façon établir la vérité ? comment amener un des jurés à témoigner du fait, qui aurait provoqué la révision immédiate, d’autant plus que David était convaincu que le post-scriptum et le paraphe étaient faux ? Longtemps, il avait