Page:Zola - Vérité.djvu/415

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autour de moi le vide de toute affection. Et je puis vous l’avouer, c’est l’unique blessure dont je souffre réellement. Le reste, les attaques directes, les outrages, les menaces, tout cela me fouette, me grise d’un besoin d’héroïsme. Mais être frappé dans les miens, les voir salis, empoisonnés, jetés en victimes parmi les cruautés et les hontes de la lutte, il y a là une affreuse chose dont j’agonise et qui me rend lâche… Ils m’ont pris ma pauvre femme, les voilà qui vous séparent de moi, et je m’y attends, ils finiront par m’enlever ma fille.

Mlle  Mazeline, dont les yeux se mouillaient de larmes, le fit taire.

— Prenez garde, mon ami, voici justement Louise.

Vivement, il répliqua :

— Je n’ai pas à prendre garde. Je l’attendais, il faut qu’elle sache.

Et, comme l’enfant souriante s’était approchée et s’asseyait entre eux, il lui dit :

— Ma chérie, tu vas faire tout à l’heure un petit bouquet pour mademoiselle. Je désire qu’elle ait de nous quelques fleurs, avant que je verrouille cette porte, entre les deux jardins.

— Verrouiller la porte ! pourquoi donc, père ?

— Parce que mademoiselle ne doit plus revenir ici… On nous prend notre amie, comme on nous a pris ta mère.

Louise demeura réfléchie et grave, dans le grand silence qui suivit. Elle avait regardé son père, puis elle regarda Mlle  Mazeline. Et elle ne demanda aucune explication. Mais elle semblait comprendre, toutes sortes de pensées précoces passaient en légères ombres sur le haut front pur qu’elle tenait de son père, tandis qu’une grande bonté désolée attendrissait ses yeux.

— Je vais faire le bouquet, finit-elle par répondre, et c’est toi, père, qui le donneras à mademoiselle.