Page:Zola - Vérité.djvu/441

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faut pas que ça nous coûte un sou, et nous y serons encore joliment du nôtre.

Quand il rentra chez lui, Marc fut envahi par d’amères réflexions. Comme chez les Bongard, il venait de revivre, chez les Doloir, l’ancienne visite qu’il leur avait faite, jadis, le jour de l’arrestation de Simon. Et les tristes êtres, dans leur écrasement social, condamnés à une vie d’injuste travail, croyant se défendre en se désintéressant, au fond de leurs ténèbres, n’avaient pas changé, ne voulaient rien savoir, de peur d’y trouver plus de misère. Et, certes, leurs enfants savaient davantage, mais trop confusément et pas assez pour faire œuvre de vérité. Si, à côté de Fernand Bongard, resté près de la terre, Auguste et Charles Doloir se dégageaient déjà, commençaient à raisonner, n’acceptaient plus les fables imbéciles, que de chemin leurs enfants auraient à parcourir encore, avant d’être libérés tout à fait ! C’était un grand chagrin, qu’une marche d’une telle lenteur, et dont il fallait pourtant se contenter, si l’on voulait avoir le courage de poursuivre la rude tâche d’enseignement et de délivrance.

Un autre jour, Marc rencontra l’employé Savin, avec lequel il avait eu de fâcheuses querelles, autrefois, lorsque les deux fils, les deux jumeaux de ce pauvre homme aigri, Achille et Philippe, fréquentaient son école. Savin était alors l’instrument peureux de la congrégation, toujours tremblant de mécontenter ses chefs, se croyant obligé de servir l’Église par politique, bien qu’il affectât personnellement de se passer d’elle, en républicain autoritaire et morose. Mais, coup sur coup, deux catastrophes fondirent sur lui, qui achevèrent de le noyer d’amertume. D’abord, sa fille, cette Hortense si jolie, l’écolière modèle dont la ferveur ardente de première communiante avait fait la gloire de Mlle  Rouzaire, s’était livrée dès seize ans au premier gamin