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Page:Zola - Vérité.djvu/446

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Alors, Marc se passionna peu à peu.

— Mes pauvres garçons, vous me faites de la peine… Ainsi, vous admettez l’innocence de Simon ?

— Mon Dieu ! oui. Ce n’est pas toujours très clair ; mais, quand on a lu les choses avec attention, on se dit que tout de même il peut bien être innocent.

— Et, dès lors, vous ne vous révoltez pas, à l’idée abominable de le savoir au bagne ?

— Ah ! bien sûr, ça n’a rien de drôle pour lui. Seulement, il y en a tant d’autres, des innocents, au bagne ! D’ailleurs, qu’on le relâche, moi je ne m’y oppose pas. Et puis, on a assez de ses ennuis personnels, à quoi bon se gâter la vie avec le malheur des autres ?

À son tour, Philippe se prononça d’une voix plus douce.

— Je ne m’en occupe pas, de cette histoire, parce qu’elle me ferait trop de peine. Si l’on était les maîtres, je comprends, on aurait le devoir d’agir. Mais, quand on ne peut rien, le mieux n’est-il pas d’ignorer et de se tenir tranquille ?

Vainement, Marc s’éleva contre cette indifférence, cet égoïsme lâche, où il voyait la pire des désertions. C’était de la protestation de chacun, des plus humbles, des plus débiles, que se faisait la grande voix, l’irrésistible volonté du peuple. Personne ne devait se dire exempt de son devoir, un acte isolé pouvait suffire à changer le destin. Et, du reste, il était faux que le sort d’un seul fût engagé dans la lutte, tous les membres d’une nation se trouvaient solidaires, chacun y défendait sa liberté, en sauvegardant celle d’autrui. Puis, quelle admirable occasion, pour accomplir d’un coup la besogne d’un siècle de pénible progrès politique et social. D’un côté, toutes les puissances de réaction liguées contre un misérable innocent, dans l’unique besoin de maintenir le vieil échafaudage catholique et monarchique ; et de l’autre, toutes