du palais de justice, n’ayant qu’une rue à traverser pour se rendre devant ses juges, étroitement surveillé et gardé, défendu aussi, comme le personnage inquiétant et considérable auquel se trouvait lié le sort de la nation entière.
Ce fut sa femme Rachel qui, la première, put le voir, éperdue de cette réunion après tant d’années affreuses. Elle n’avait point amené ses enfants, Joseph et Sarah, restés à Maillebois, chez les Lehmann. Ah ! l’étreinte qu’ils échangèrent ! Et elle sortit en larmes, tellement elle le trouva maigri, affaibli, sous ses cheveux blancs. Il s’était montré singulier, ignorant tout encore, n’ayant appris la révision prochaine de son procès que par une communication brève de la Cour de cassation, sans détails. Cette révision enfin décidée ne l’avait pas surpris, il vivait depuis tant d’années dans la certitude qu’elle aurait lieu un jour, debout quand même, malgré les atroces tortures, victorieux de la mort par l’unique force de son innocence. Il voulait vivre, et il vivait, pour revoir ses enfants et leur rendre un nom sans tache. Mais dans quelle noire angoisse d’esprit il était resté plongé, retournant sans cesse l’effrayante énigme de sa condamnation, sans pouvoir en trouver le mot ! Et il ne savait toujours rien de précis, et ce furent son frère David et l’avocat Delbos, accourus près de lui, qui finirent par le mettre au courant de la monstrueuse aventure, de la terrible guerre engagée sur son cas, depuis des années, entre les deux camps éternellement ennemis, les hommes autoritaires, défendant l’édifice pourri du passé, et les hommes de pensée libre, en marche vers l’avenir. Alors seulement il comprit, il s’effaça, il considéra ses souffrances personnelles comme un simple incident dont la seule importance était d’avoir été la cause d’un admirable soulèvement de justice, utile à l’humanité entière. D’ailleurs, il ne parlait pas volontiers de ses souffrances, il avait