Page:Zola - Vérité.djvu/501

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moins souffert par ses compagnons, les voleurs et les assassins, que par ses gardiens, des brutes féroces, lâchés dans leur bon plaisir, prenant une volupté sadique à supplicier et à tuer impunément. Sans la force de résistance qu’il devait à sa race et à son tempérament de froid logicien, il se serait vingt fois fait abattre d’un coup de revolver. Et il causait de ces choses d’un air paisible, et il avait encore des étonnements naïfs, en apprenant les complications extraordinaires de l’abominable drame dont il était la victime.

Marc, qui s’était fait citer comme témoin, obtint un congé, vint se fixer à Rozan, quelques jours avant le procès. Il y trouva David et Delbos, installés déjà, en pleine et suprême lutte. David, si calme, si brave d’habitude, le surprit par son énervement et son visage soucieux. Delbos lui parut également préoccupé, malgré sa vaillance si gaie d’ordinaire. À la vérité, c’était pour lui une affaire très grosse, où il risquait sa carrière d’avocat, sa popularité grandissante de candidat socialiste aux élections prochaines. S’il gagnait sa cause, il finirait bien par battre Lemarrois, à Beaumont. Seulement, toutes sortes d’inquiétants symptômes se produisaient d’heure en heure, de sorte que Marc ne tarda pas à s’effrayer lui-même, dans ce milieu nouveau de Rozan, où il débarquait avec tant d’espoir. Au dehors, même à Maillebois, l’acquittement de Simon était certain, pour les gens de quelque bon sens. Dans l’intimité, les créatures du père Crabot ne cachaient pas à quel point elles jugeaient la partie compromise. Et les meilleures nouvelles venaient de Paris, la certitude où les ministres se disaient sûrs d’un juste dénouement, la confiance où ils s’endormaient, rassurés par les notes de leurs agents sur la cour et sur le jury. Mais, à Rozan, l’air était tout autre, une odeur de mensonge et de trahison flottait par les rues, traînait et s’insinuait au fond des âmes. La ville, ancienne capitale