Page:Zola - Vérité.djvu/508

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exécution souterraine, d’un écrasement accompli loin du jour, avec le moins de bruit possible.

Et Marc, dès qu’il fut assis à son banc, près de David entré avec les témoins, eut cette sensation d’angoisse, une menace d’étouffement, comme si les murs allaient leur crouler sur la tête. Il avait vu tous les yeux se diriger sur eux, David surtout soulevait une grande curiosité. Puis, il s’émut, Delbos venait d’arriver, pâle et résolu, sous les regards mauvais du plus grand nombre, le fouillant, voulant voir où il saignait de l’article infâme paru le matin. Mais l’avocat, comme revêtu d’une armure de mépris et de vaillance, se tint longtemps debout, dans sa force souriante. Et Marc dès lors s’intéressa au jury, dévisagea chaque juré qui entrait, pour essayer de lire à quels hommes était confiée la grande tâche réparatrice. C’étaient d’insignifiantes figures de petits commerçants, de petits bourgeois, un pharmacien, un vétérinaire, deux capitaines retraités. Et, sur tous ces visages apparaissait la même expression d’inquiétude morne, la volonté de ne rien laisser deviner du trouble intérieur. Avec eux, ils apportaient les ennuis dont on gâtait leur existence, depuis que leurs noms étaient connus. Plusieurs avaient des têtes blêmes de donneurs d’eau bénite, de bedeaux rasés et cafards, habitués aux discrétions hypocrites du culte, tandis que d’autres, trop gras, congestionnés, semblaient avoir doublé leur ration matinale d’eau-de-vie pour se donner du cœur au ventre. On sentait derrière eux toute la vieille cité cléricale et militaire, avec ses couvents et ses casernes, et un frisson passait, lorsqu’on songeait de quelle œuvre de justice étaient chargés ces hommes à l’intelligence et à la conscience déformées, étouffées par le milieu.

Mais il y eut un soupir épandu au travers de la salle, et Marc éprouva l’émotion la plus poignante de sa vie. Il n’avait pas encore revu Simon, il l’aperçut tout d’un coup,