derrière Delbos, debout au banc des accusés. Et ce fut une terrible apparition, ce petit homme maigre et courbé, la face ravagée, le crâne nu, à peine couvert de quelques pâles cheveux blancs. Quoi ! cet agonisant, ce reste chétif, c’était son ancien camarade, qu’il avait connu si fin et si vif ! S’il n’avait jamais eu de grands dons extérieurs, la voix faible, le geste sec, il portait en lui un ardent foyer de jeunesse et de foi. Et c’était ce pauvre être brisé, anéanti, que le bagne rendait, une loque humaine où ne luisaient plus que les deux yeux de flamme, tout ce qui était resté en lui de volonté, de courage invincible ! À ses deux yeux seuls, on le reconnaissait, et l’on y trouvait aussi l’explication de sa longue résistance, de sa victoire finale, grâce à ce monde de l’idée pure, de la chimère, dans lequel il avait toujours vécu. Tous les regards de l’auditoire s’étaient tournés vers lui, sans qu’il les sentit seulement, grâce à sa force extraordinaire d’abstraction, regardant lui-même ce monde assemblé, de son air absent. Puis, il eut un sourire d’infinie tendresse, il venait d’apercevoir son frère David, et Marc sentit ce dernier, près de lui, qui tremblait de tous ses membres.
Il était huit heures un quart, lorsque l’huissier lança son cri, et la cour entra. La salle s’était levée, puis elle se rassit. Marc, qui se rappelait le violent auditoire de Beaumont, grondant, vociférant, s’étonnait du calme lourd de celui-ci, sous lequel il sentait bien les mêmes passions atroces, le besoin muet du meurtre, comme embusqué au fond d’un trou d’ombre. À peine la vue de la victime lui avait-elle tiré un murmure étouffé ; et, maintenant, pendant que la cour s’installait, il retombait dans son attente noire. De même, comparé à l’ancien président Gragnon, brutal et jovial, le président Guybaraud surprenait, d’une politesse parfaite, le geste onctueux, la parole insinuante. C’était un petit homme exhalant une odeur discrète de sacristie, souriant et doux, mais dont les