Page:Zola - Vérité.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme il aurait agi bravement, pour la liberté, la vérité et la justice, au lieu d’en être réduit au plus diplomatique des opportunismes !

Ce que Marc n’ignorait pas non plus, c’était que ce partage de Maillebois en deux camps opposés s’aggravait de la puissance croissante du parti clérical, qui menaçait de conquérir le pays entier. Depuis dix ans, la petite communauté de capucins, établie dans l’ancien couvent dont elle avait abandonné une partie aux frères des Écoles chrétiennes, y pratiquait le culte de plus en plus audacieux de saint Antoine de Padoue, avec un succès tel, que les bénéfices devenaient prodigieux. Pendant que les frères, tirant profit eux aussi de ce succès, voyaient leur école prospérer, s’emplir d’un flot montant d’élèves, à l’ombre de la chapelle voisine, les capucins exploitaient cette chapelle comme on exploite une distillerie d’alcool, en tiraient tous les poisons imaginables. Le saint trônait sur un autel d’or sans cesse fleuri, étincelant de cierges, et des troncs s’ouvraient partout, et un bureau commercial était en permanence à la sacristie, où les clients faisaient queue du matin au soir. Ce n’était plus seulement les objets perdus que le saint retrouvait, il avait élargi son commerce, il s’engageait, pour quelques francs, à faire passer leurs examens aux pires cancres, à rendre excellentes les affaires véreuses, à dispenser même du service militaire les enfants riches des familles patriotes, sans compter une foule d’authentiques miracles, guérison des malades et des estropiés, protection certaine contre la ruine et la mort, jusqu’à la résurrection d’une jeune fille, décédée depuis deux jours. Et, naturellement, à chaque nouvelle histoire, l’argent affluait davantage, la clientèle s’étendait du Maillebois réactionnaire, des bourgeois et des boutiquiers, au Maillebois républicain, aux ouvriers, que le poison finissait par gagner. L’abbé Quandieu, le curé de Saint-Martin, l’église paroissiale, s’élevait bien avec